Lettre 2 : expérience interne - expérience externe

Publié le par mademoiselleinopinee

La Grèce antique étant à la source des courants qui irriguent encore aujourd'hui la philosophie européenne, il est intéressant de remonter aux origines, non pas tant pour faire une archéologie des ruines philosophiques que pour comprendre les fondements mêmes de la pensée occidentale moderne.

 

Platon et Aristote sont toujours les deux philosophes de référence et l'immense majorité d'entre nous choisit de s'appuyer sur Platon. S'agissant des orthodoxes, plus généralement de l'Orient, seul Maxime le Confesseur (580 - 662) s'inspire d'Aristote, tandis qu'en Occident catholique romain, c'est essentiellement à Thomas d'Aquin (1225 - 1274) que l'on doit sa sortie des oubliettes.

 

Comme tu t'en doutes, Mademoiselle Inopinée, il n'est pas toujours facile de maintenir la métaphysique face à des idéologies aussi diverses que violentes parfois. Certains sont donc amenés à composer et à imaginer des attelages ou des combinaisons selon les modes, pour faire plaisir aux uns et aux autres. Personnellement je ne veux pas unir ce qui est séparé, pas plus que je ne veux séparer ce qui est uni, car fondamentalement il n'y a pas de demi-mesure dans le réel : soit il est, soit il n'est pas. Dès maintenant nous sommes donc confrontés à deux grandes options : soit son expérience interne et personnelle, comme la plupart, soit partir de l'expérience externe sans pour autant exclure l'expérience interne. Si l'on choisit l'expérience interne comme point de départ, non seulement on prive l'intelligence de garde-fou mais on s'interdit tout réel dialogue avec le voisin puisque la vérité se résume à la façon dont on est logique avec soi-même. Autrement dit on confond vérité et sincérité, et dans la foulée on accepte d'être sincèrement dans l'erreur. Ah ! cet alibi de la sincérité, ce suprême d'ego sauce conviviale, omniprésent dans toute opinion qui se veut authentique… Nous en sommes gavés, non ? Pas toi, Mademoiselle Inopinée ?


Aristote commence donc par l'expérience du réel, sans rejeter l'expérience intérieure pour autant mais il considère qu'elle demande à être sans cesse confrontée aux réalités extérieures. L'expérience interne a certainement l'avantage de donner un contact immédiat et intime avec sa vie spirituelle mais peut en quelque sorte isoler, alors que l'expérience externe n'est pas restrictive puisqu'elle résulte d'une alliance entre le toucher sensible et l'intelligence, permettant ainsi de connaître toutes les réalités qui se présentent et pas uniquement sa réalité intérieure, aussi sincèrement soit-elle expérimentée car on peut être en accord avec soi-même tout en étant dans l'erreur. En outre, si Aristote va du visible à l'invisible, c'est bien du visible qu'il va à l'invisible, et donc il commence par l'expérience externe. Autrement dit l'expérience interne n'est pas exclue mais elle achève l'expérience externe. À l'inverse, commencer par le monde de l'intériorité revient à rejeter a priori le réel, et même, souvent, à le considérer comme contingent et douteux.

 

Aussitôt surgit une objection qui semble née avec la philosophie même : la perception d'une réalité extérieure peut être une illusion, comme un bâton trempant dans l'eau paraît tordu alors qu'il ne l'est pas. Louis Ferdinand Céline conseille même de casser le bâton avant de le mettre à l'eau ! D'accord, il est bien évident qu'on peut se tromper ou être trompé par une perception sensible illusoire, mais c'est justement par un aller et retour permanent entre le réel et ce que l'on en expérimente qu'il est possible de s'approcher du vrai, donc d'une adéquation entre l'intelligence interrogeante et la réalité.

 

Ainsi, l'expérience externe demande la collaboration des sensibles propres avant celle des sensibles communs. Tu sais ce que sont les sensibles propres et les sensibles communs ? Les sensibles propres sont les réalités approchées par l'un des cinq sens (la vue, l'ouie, l'odorat, le toucher et le goût), et les sensibles communs sont celles accessibles par plusieurs sens (le nombre, la grandeur, le mouvement, le repos et la figure). Nous y reviendrons sûrement.

 

Dis-moi déjà, Mademoiselle Inopinée, si tu saisis les deux grands points de départ de la philosophie, celui commençant par l'expérience interne et celui commençant par l'expérience externe.


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