Lettre 8 : existence et signification

Publié le par mademoiselleinopinee

Continuons à nous pencher sur la naissance de l'interrogation "Qu'est-ce que l'être ?", dont on a vu qu'elle demeurait un sommet chez Heidegger, et vérifions si une position réaliste peut effectivement aller plus loin.

 

Martin Heidegger est proche de nous puisqu'il est mort en 1976. Chez ce néoplatonicien, fasciné par l'art, l'interrogation "qu'est-ce que l'être ?" demeure sans réponse car il isole le "ceci" du jugement d'existence "ceci est" et par conséquent il en reste à un certain positivisme dans sa métaphysique. Ce serait intéressant de chercher pourquoi car l'être dévoile les structures profondes de l'intelligence, ou plus exactement l'intelligence dévoile l'être et l'être dévoile l'intelligence, sans qu'on sache très bien qui a commencé… un peu comme toi et moi dans cette correspondance !

 

Dans ce que nous discutions précédemment nous avons fait une analogie entre "ceci est" et "qu'est-ce que l'être ?" d'une part, et "ce mur est blanc" et "qu'est ce que la blancheur ?" d'autre part. C'est ce qui s'appelle passer du visible à l'invisible, le propre de l'intelligence étant justement de pouvoir nommer ce qu'elle saisit de la réalité en le détachant de son contexte. Lorsque tu dis "ce mur est blanc", "blanc" est relatif à "mur", et lorsque tu te demandes "qu'est-ce que la blancheur ?" tu isoles le blanc, c'est-à-dire que tu ne le regardes plus comme relatif à tel mur ou à tel nuage, mais pour lui-même. Ainsi avec "ceci est" tu te trouves en contact direct avec une réalité autre que toi et avec "qu'est-ce que l'être ?" tu isoles l'être du "ceci" afin de le considérer pour lui-même. Tu passes du présent à l'infinitif en regardant ce qui t'intéresse comme un substantif : de "est" tu passes à "être" puis à "l'être".

 

C'est incroyable que ton intelligence soit comme ça capable d'extraire quelque chose du réel et de le nommer, car le nom est ce qui reçoit les adjectifs et les attributs, et là, en passant de "blanc" à "blancheur", tu transformes un attribut en nom !

 

Lorsqu'on parle de "métaphysique de l'être" on ferait mieux de préciser "métaphysique de l'être en tant qu'il est" mais étant donné que ça n'est pas très joli on dit "métaphysique de l'être", ce qui pour autant n'est pas bien rigoureux car on ne fait pas du tout la métaphysique de l'être abstrait ! on regarde ce qui existe, et l'être abstrait, est-ce qu'il existe ? Il existe dans l'interrogation et dans l'intelligence, mais personne n'a jamais vu l'être. On se trouve ici en présence de quelque chose de tout à fait primitif et fondamental. Il faut regarder ça de près et mesurer les conséquences de toute approximation à ce propos.

 

Qu'est-ce que ça signifie de considérer le verbe "être" comme un nom ? Les deux grandes familles philosophiques, néoplatoniciens et aristotéliciens, répondent de façon opposée à cette interrogation fondamentale. Certains ont même parlé de philosophies féminine et masculine… Imagine un peu, Ino, on a sexué l'être tellement la réponse à cette question est lourde de conséquences ! Il faut se demander ce qu'il y a là de si crucial, avant de tomber dans des polémiques sans fin en gaspillant un temps qu'on aurait pu gagner si on avait été plus attentif au point de départ. Il faut même souvent se rappeler cette différence originelle comme philosophiquement déterminante, sinon on dérape, et sans toujours s'en rendre compte.

 

Reprenons le blanc et la blancheur car c'est plus facile que de considérer directement l'être. En quoi "blanc" est-il différent de "blancheur" ? Le dictionnaire raconte que la blancheur est la qualité du blanc, "ce par quoi le blanc est blanc", et donc il voit que la blancheur est une sorte de principe : "ce par quoi le blanc est blanc". C'est curieux car d'un côté le blanc est à l'origine de la blancheur, et d'un autre la blancheur est à l'origine du blanc. C'est en effet en voyant tel et tel blanc concrets que tu te poses la question de la blancheur et qu'ensuite tu regardes différemment les blancs particuliers que tu croises ici ou là, justement parce que tu les perçois en rapport avec la blancheur. Alors d'une part si tu n'avais jamais vu quoi que ce soit de blanc tu ne te demanderais pas ce qu'est la blancheur, et d'autre part si tu ne comprenais pas ce qu'est la blancheur tu n'affirmerais pas aussi nettement que tel mur est blanc. Pour autant tu n'as jamais rencontré dame blancheur en promenade au jardin des Plantes et "blanc" est bien ce que tu expérimentes d'abord, avant "blancheur" que tu ne saisis qu'après réflexion !

 

En outre si tel mur blanc n'existait plus, le blanc de ce mur n'existerait plus non plus… "Blanc" est donc dépendant du mur dans son existence, mais l'est-il dans sa signification, c'est-à-dire dans sa quiddité ? Pour savoir exactement ce que signifie "blanc" il faut l'isoler, autrement dit le regarder pour lui-même afin de se demander "qu'est-ce que la blancheur ?". Par conséquent dans l'ordre de l'expérience "blanc" est premier, tandis que dans l'ordre de la signification "blancheur" est première.

 

La question déterminant toute la suite est maintenant celle-ci : Qui des deux est premier, ce qui existe ou sa signification ?

 

On a vu que Descartes tourne le dos à Aristote, et c'est précisément là qu'il le fait, dès le départ de toute sa philosophie, car pour Aristote la première question est "ceci est-il ?" (existence), la seconde étant "qu'est-ce que ceci ?" (signification). Pour lui l'existence précède la signification alors que pour Descartes c'est l'inverse, la signification est première et l'existence seconde. Pourquoi ? Parce que pour Descartes, comme pour Platon, les idées sont innées dans l'esprit, et par conséquent la signification est donnée tout de suite. Par exemple Descartes estime que la réponse à la question "qu'est-ce que l'infini ?" est foncière. Ainsi le petit enfant dans son berceau rêve de l'infini et possède immédiatement la signification de cette idée. Ensuite il voit son père et s'exclame "Mais tu n'es pas l'infini !", car au départ il avait évidemment projeté son idée innée sur lui mais en remarquant sa mère il réalise que son père n'est pas l'infini… Puis tout se complique lorsqu'il rencontre son oncle car il comprend que non seulement son père n'est pas l'infini mais qu'en plus il fait partie d'une série. Alors il n'a plus aucun respect pour lui : "Tu m'as trompé !"… Voilà ce qui se passe lorsqu'on fait de la signification un absolu !

 

Par conséquent pour Descartes la signification est première et la question de l'existence, c'est-à-dire celle de savoir si telle ou telle réalité correspond ou non à l'idée innée qu'il en a, est postérieure à la signification. Si aucune réalité n'y correspond, afin de pouvoir malgré tout maintenir la vérité de la signification innée, il conclut qu'il faut nécessairement qu'elle existe : si Dieu existe mon concept d'infini est vrai, mais s'il n'existe pas mon concept est faux ; or, puisque mon concept est vrai, Dieu existe nécessairement. Il ne s'agit malheureusement pas d'un sketch comique et il est très important de bien voir l'inversion radicale entre le jugement d'existence visant une réalité et sa signification.

 

Chacun d'entre nous doit donc choisir entre l'attitude d'Aristote, philosophe réaliste, et celle de Descartes, philosophe idéaliste, deux attitudes qui, comme le précise très justement et consciemment Descartes, se tournent le dos. Beaucoup ne font jamais ce choix mais deviennent comme naturellement cartésiens puisqu'ils reçoivent le germe de cette pensée dès leur plus jeune âge. En effet c'est d'une façon ou d'une autre ce qu'on enseigne dès la maternelle et les idéologies sont aujourd'hui reçues comme un héritage génétique dont il n'est pas permis de se débarrasser, ni même de douter.

 

C'est au nom de la science que Descartes a adopté cette approche philosophiquement infantile, et à cause des mathématiques, terrain de jeu où le possible est la signification. Attention ! les sciences et les mathématiques ne sont pas mauvaises en tant que telles, bien sûr que non, loin s'en faut, ce serait très idiot de le professer, mais pour autant il est aussi ridicule que toxique de les tenir pour philosophiques. Ça n'a l'air de rien mais choisir au point de départ de la métaphysique l'une ou l'autre démarche, soit néoplatonicienne soit aristotélicienne, est capital. On peut en effet opter pour la déviation cartésienne et s'enfermer dans la signification en la tenant pour prioritaire, l'exister étant alors relégué au second rang. L'exister n'a aucun intérêt pour un mathématicien, tu sais ! Pour lui c'est le possible et la signification qui comptent, la réalité étant considérée comme éphémère, alors que la signification demeure. Si donc tu es pour l'éternité c'est la signification qui importe, et qu'est-ce qui te permettra de rejoindre l'éternité ? Eh bien la signification justement ! Pour Descartes le jugement d'existence, "ceci est", met dans la contingence et empêche d'avancer, et pour Hegel c'est pareil, la signification du concept l'emporte sur le jugement d'existence qui, par conséquent, est considéré comme relatif, autrement dit sans intérêt. En définitive, chez ces gens-là, Mademoiselle Inopinée, la signification absorbe l'exister, y compris celui que les traditions religieuses appellent "Dieu" et qui se trouve englouti par l'idée d'infini puisque Lui seul est réputé infini… Tout le propos de la métaphysique de Descartes revient donc à rejoindre Dieu par l'idée foncière qu'il estime en avoir.

 

Revenons à ce mur blanc, suivi de la question "qu'est-ce que la blancheur ?". Si tu es réaliste, autrement dit si tu cherches ce qui est vrai (c'est ça être réaliste), tu as d'abord l'expérience du blanc de tel mur et la signification de la blancheur provient de cette première expérience. Par conséquent, comme pour Aristote, le jugement d'existence est pour toi premier et la signification seconde. Ainsi tu te poses la question "qu'est-ce que la blancheur ?" après avoir énoncé le jugement d'existence "ce mur est blanc", cette question surgissant même directement du jugement d'existence, alors que de Descartes à Hegel on fait l'inverse… et tout le monde suit.

 

Bon mais regarde, Mademoiselle Inopinée, si tu comprends que "blancheur" naît de tes diverses expériences du "blanc", la signification de "blanc" et la signification de "blancheur" sont une seule et même chose, selon deux modes différents, mais une seule et même chose ! "Blancheur" s'expérimente par l'intelligence selon un mode abstrait et "blanc" selon un mode concret. Entre parenthèses - c'est probablement pour ça que la pensée posée devant le réel séduit tant - le mode abstrait est pur tandis que le mode concret est impur, puisqu'un blanc est lié à tel mur plus ou moins propre. Je ne sais pas si tu as déjà remarqué mais devant un mur parfaitement blanc, la réalité du mur a comme tendance à s'effacer pour laisser la place à dame blancheur dans son plus bel apparat, et puis au fur et à mesure que le mur se salit ou pâlit, on remarque de moins en moins dame blancheur… de plus en plus le mur !

 

Avoue que c'est curieux cette espèce de lutte incessante entre le jugement d'existence et la signification, ce passage de "blanc" à "blancheur" et de "blancheur" à "blanc"… Cela paraît trois fois rien alors que c'est crucial. La métaphysique touche la structure radicale de l'intelligence face au réel, ou alors c'est que l'intelligence lui tourne le dos et se considère comme supérieure. Pour Heidegger on regarde l'étant dans le jugement d'existence et comme toutes les réalités existantes sont limitées, on interroge "qu'est-ce que l'être ?" car seul l'être n'est pas limité. Cependant si l'on prend non plus la signification de la réalité mais la façon dont cette réalité existe, on oppose "ceci est" à "qu'est-ce que l'être ?", par conséquent on ne peut plus revenir à l'étant, autrement dit à la réalité, c'est impossible, on est engagé sans retour dans la seule voie de l'intelligence séparée d'où peut surgir l'être imaginé, car de fait on ne peut plus que le trouver là, dans l'esprit. On nie alors toute réalité extérieure : la pensée précède l'être ! Au début Heidegger a une belle intuition puisqu'il veut redécouvrir l'être, et finalement il ne découvre rien d'autre que le cogito et le "penser l'être", autrement dit l'être relatif à la pensée… qui n'est pas l'être, car si la façon de penser l'être lui donne sa signification c'est que la pensée lui est antérieure et l'absorbe.

 

C'est pour cette raison qu'il y a une réelle urgence à remonter aux sources non polluées de la philosophie. Une métaphysique réaliste donne une connaissance qui a d'énormes conséquences alors même que l'on raconte qu'il s'agit d'une "prise de tête" inutile, ou même et plus simplement qu'on ne sait plus de quoi il s'agit, car dès qu'on quitte les sciences modernes on décrète que c'est de la métaphysique : métaphysique de l'entreprise, de l'agriculture, de l'art... Mais le monde n'en crève pas moins de cette absence totale de métaphysique, et on manipule d'autant plus facilement les foules qu'on n'a globalement plus affaire qu'à des intelligences endormies. C'est parce qu'on considère comme un postulat absolu que l'idée précède la réalité qu'on ne revient plus à l'expérience de la réalité, la plupart se trouvant alors captifs et asservis à toutes sortes d'idéologies, avec interdiction formelle de retourner au réel.

 

Lorsque Thomas d'Aquin, dont on encourage aussi à se moquer en expliquant qu'il a cru à la génération spontanée (comme s'il était fondamentalement à considérer comme un scientifique au sens moderne du mot…), critique le néoplatonisme, qu'en dit-il ? Que les néoplatoniciens ne connaissent la réalité qu'à travers la manière dont ils la connaissent. Que veut-il signifier ? Qu'ils identifient l'idée de la réalité et la réalité elle-même. Ainsi leur mode abstrait de connaissance se fait mesure de toute chose, et éventuellement ils ne craignent pas de mutiler la réalité si elle n'entre pas dans l'idée qu'ils s'en font. Les idéologies nazie, communiste, ultra-libérale… c'est bien ce qu'elles ont fait et font, n'est-ce pas ? Elles laissent tomber et excluent, voire suppriment ce qui n'est pas prévu. Ainsi l'intelligence se comporte comme un miroir déformant et défigurant la réalité : les idéologies sont des grimaces de l'intelligence.

 

Le néoplatonisme revit dans Heidegger et il est particulièrement séduisant puisqu'il prône le primat de la connaissance poétique, de la démarche artistique et de l'intelligence créatrice. Qui se méfierait d'une démarche artistique ? Personne ! On répond à celui qui ose émettre quelque doute qu'il est insensible et qu'il ne fait preuve d'aucune "créativité" comme on dit dans les milieux branchés. Or ce n'est pas la démarche artistique elle-même qui est mauvaise, surtout pas, mais de lui céder la place de la philosophie première. Dans la connaissance artistique il est normal que l'idée et l'inspiration règnent, mais cela devient pour le moins destructeur si l'artiste se prend pour philosophe, car c'est alors son idée qui mesure le réel au lieu que ce soit le réel qui mesure sa pensée.

 

Le néoplatonisme, aujourd'hui présent partout, considère que la connaissance poétique et artistique est le premier moment de la connaissance. Tu les vois mieux maintenant ceux qui prennent en otages des millions d'hommes et de femmes en les forçant à entrer dans l'idée qu'ils s'en font ? Et puis tu vois aussi où mène le fameux "à chacun sa vérité", cette imbécillité qu'on fait encore apprendre par cœur aux gosses, et même aux adultes récalcitrants, ce sésame en forme d'humanisme et de respect de l'autre ? Eh bien il mène à la subjectivité du plus fort ! On s'est fait rouler par les porte-flingues de Descartes, Mademoiselle Ino, et nous sommes maintenant face à deux dictatures néoplatoniciennes : la poésie d'une part, et les mathématiques et le positivisme d'autre part, générant un primat de la connaissance scientifique sur tout le reste. C'est une systématisation de la subjectivité transcendantale de Kant qui, encore une fois, est à sa place dans la connaissance poétique et mathématique, absolument pas dans une philosophie réaliste.

 

Nous sommes là devant le choix le plus fondamental qui soit : passer soi-même avant le réel ou au contraire laisser le réel passer devant soi. On répond aujourd'hui couramment à cette question radicale en décrétant que la connaissance est supérieure à la réalité puisqu'elle permet de la mettre en état de splendeur ! Ceci a des conséquences très concrètes et on retrouve cette exaltation de la pensée par exemple dans la bioéthique. On regarde l'être en soi, non pas l'être de la vache, de Maurice ou du mur, non, l'être en soi, alors c'est bien supérieur tu comprends… L'alternative est là, précisément à ce carrefour entre idéalisme et réalisme.

 

En réalité l'homme progresse par l'expérience et l'expérience précède l'interrogation, donc l'abstraction que réalise l'intelligence à partir de la réalité, cette dernière ne supprimant ni même ne relativisant ce qui la précède, sinon on peut même affirmer qu'il n'y aurait pas d'abstraction ! Ainsi le mode sous lequel on pense l'être n'est pas l'être, et il faut bien distinguer l'être que l'on expérimente concrètement (expérience) de l'être que l'on expérimente abstraitement (signification). On rejoint Aristote lorsqu'il parle de substance première et de substance seconde. La substance première est ce qu'on atteint par l'expérience concrète, autrement dit le "ceci" du jugement d'existence, par exemple Inopinée, tandis que la substance seconde est ce qu'on abstrait de la réalité, autrement dit et puisque je t'ai prise comme exemple, c'est "femme". Pourtant et nécessairement, par-delà la substance première "Inopinée" et la substance seconde "femme" il y a la substance-principe.

 

Ainsi, au-delà du mode concret d'expérience (Inopinée est) et du mode abstrait d'expérience (Inopinée est femme), il y a l'être, qui n'est ni concret ni abstrait.

 

Il y a donc quelque chose de commun entre le singulier "Inopinée" et l'intelligible "femme", qui nécessairement n'est ni l'un ni l'autre puisqu'il est dans les deux. Ce quelque chose de commun et de premier par rapport au deux, c'est l'être en tant qu'il est.

 

Ainsi, non seulement la métaphysique n'est pas un luxe mais elle cherche ce qui est au cœur du réel car au-delà de la différence entre ces deux modalités de l'être, singulier et intelligible, il y a la réalité première de l'être, et c'est bien elle qui est éminemment intéressante. Or c'est la réalité qui conduit à cette découverte, non pas l'intelligence séparée et se contemplant elle-même. D'ailleurs lorsque l'intelligence improvise, ce qui est le cas pour les néoplatoniciens aujourd'hui en écrasante majorité, ta concierge faisant également partie du club à côté du ministre Machin, attention à l'orgueil et à la mégalomanie, surtout donc si on a un pouvoir, depuis celui sur une cage d'escalier jusqu'à un pouvoir politique de premier plan…

 

Il faut sans cesse revenir aux expériences et c'est bien en cela que l'amour réaliste sauve des idéologies de toute nature puisqu'en aimant on se trouve en contact immédiat avec celui ou celle qu'on aime et qui n'est pas soi ! Encore faut-il aimer de façon réaliste… Mais que choisis-tu, Ino, ta façon d'aimer ou bien celui ou celle que tu aimes ? Tout le problème est là ! Dans l'ordre de l'amour on voit plus nettement l'aspect burlesque de l'idéologie car on comprend tout de suite la différence entre préférer la façon dont on aime à son ami lui-même et en tant qu'il est une réalité autre que soi. Finalement le choix est le suivant : l'ami idéal ou l'ami réel ? En définitive c'est soi qu'on aime dans l'ami idéal, pas du tout l'autre pour lui-même, qui devient alors une sorte d'accessoire interchangeable s'il ne colle plus avec l'idée qu'on se fait de ce qu'il devrait être. Or le réalisme, en amour, c'est d'aimer l'autre comme il est, non pas tel qu'on voudrait qu'il soit. Ainsi, seule une philosophie réaliste sauve l'amour, et voilà le lien entre l'intelligence et le cœur. Combien s'acoquinent avec un idéal et se la jouent sur l'air des fidélités successives alors qu'il s'agit surtout d'une fidélité à leur subjectivité autistique ? Qu'on le veuille ou non nous nous trouvons aujourd'hui sous la tyrannie d'idéologies ne touchant pas à l'amour, et elles en sont incapables pour une raison très simple : elles ne savent pas ce que c'est. Par ailleurs l'amour répugne à l'imaginaire, car c'est l'autre qui prime, non pas l'autre figuré, défiguré ou transfiguré, l'autre tel qu'il est !

 

Soyons honnêtes et reconnaissons qu'il n'est guère facile d'entrer dans le réalisme de l'amour. Pourtant il n'y a que ça qui soit grand, le reste c'est de la balayure.


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